Photos Jean-Paul Azam

BIOGRAPHIE

Une vie digne d’un roman, une passion pour la peinture

nicolaï greschny par Dieuzaide
Photo Dieuzaide

Nicolaï Greschny est né à Tallinn, Estonie en 1912.
Son père est diacre et bien qu’il appartienne à l’Eglise catholique, il conserve de nombreuses coutumes de l’orthodoxie russe. Sa mère est allemande balte, née d’un père allemand et d’une mère française, descendante des Huguenots appelés par Pierre Le Grand pour ses constructions navales.

L’année 1917 marque la première fuite de la famille vers la Silésie, à la frontière germano-polonaise, où la branche maternelle de la famille à des propriétés. À 7 ans, Nicolaï peint sa première fresque: une locomotive!

Son père meurt en 1922. Sa mère poursuit son éducation. Elle lui traduit notamment du vieux russe, le “podlinnik”, une sorte de manuel de peinture (technique et iconographie) qu’il conservera longtemps. Poursuivant ses études au pensionnat de Breslau, il obtient l’abitur, l’équivalent du bac. Il entre au noviciat des jésuites pour préparer son entrée au “Russicum” à Rome, faculté fondée en 1929 par Pie XI pour l’étude de la culture et de la spiritualité russes. Il en est exclu au bout d’un an pour mauvaise conduite.

Nicolaï part ensuite à Berlin pour suivre les cours des Beaux-Arts : pendant deux ans, il est l’élève du professeur Wehlter, à Schönnbrunn. A son contact, il développe sa technique et ses connaissances de l’art occidental. Il travaille ensuite deux ans comme stagiaire au musée de Neisse (aujourd’hui Nysa en Pologne).


La fuite devant les nazis

En 1933, lorsque Hitler accède au pouvoir en Allemagne et cherche à enrôler les jeunes dans les mouvements des “jeunesses hitlériennes”, Nicolaï s’enrôle dans les mouvements clandestins de jeunes catholiques. Il réussit à infiltrer les jeunesses hitlériennes pour fournir des documents à Rome dans le projet d’un livre blanc sur l’hitlérisme. Il est finalement obligé de fuir à pied en traversant la frontière tchécoslovaque. Arrêté, il ne reste que quelques jours en prison, réussissant à obtenir des papiers autrichiens.

Il s’installe à Vienne où il est pris en charge par une congrégation de religieuses. Un prêtre le présente au célèbre professeur catholique Strehler. Pour faire ses preuves, Nicolaï peint L’Emmanuel que l’on retrouve aujourd’hui dans le choeur de la chapelle de La Maurinié. Il cherche à se perfectionner dans les arts, mais aussi en théologie, avec toujours en tête son projet d’entrer au “Russicum”.
Il peint des icônes qu’il est contraint de vendre pour subvenir à ses besoins, ce qui est contraire à la tradition sacrée des icônes. Il réalise également un Saint-Georges dans l’abbaye Notre-Dame à Heiligenkreuz, le coeur mystique de la forêt viennoise.
Parallèlement, il s’occupe de scouts ukrainiens. L’engouement pour l’art russe lui amène des jeunes, dont le fils du chancelier autrichien Schuschnigg. C’est ainsi qu’averti de l’imminence de l’Anschluss, il fuit à nouveau, sous un faux nom, dans le dernier train libre.

En 1938, il arrive à Venise et se rend à Rome avec son désir intact de s’inscrire au “Russicum”. Mais Hitler entre triomphalement à Rome. Logé au Vatican, Nicolaï voit sa demande d’asile auprès de l’ambassade de France refusée. Les services du pape Pie XI lui payent un billet de train avec lequel, par la Yougoslavie, la Hongrie, la Slovaquie et la Pologne, il arrive à Wilno en Lituanie, où ses papiers ne sont pas reconnus.
Des jésuites lui permettent de repartir dans un wagon de marchandises plombé pour Riga. Il y retrouve de la famille qui l’aide à rejoindre Tallinn, sa ville natale. Il revoit son ancien maître de noviciat qui l’avait renvoyé dans ses jeunes années. Pour payer sa pension, il peint des icônes, dont Notre-Dame de Czestochowa.

Souhaitant poursuivre ses études en Belgique, il fait une demande de visa. L’ambassade de France lui procure finalement le document, mais une fois parvenu à Copenhague, les autorités ont des doutes sur la validité de son passeport autrichien. Heureusement des jésuites, avec lesquels il était en liaison, le tirent une nouvelle fois d’affaire et il embarque sur un bateau pour Anvers. Il passe deux ans en Belgique où il étudie la théologie à l’Université de Louvain.


L’arrivée en France

Rattrapé par la guerre, il est une nouvelle fois obligé de fuir devant les Allemands. Il s’enfuit en France, où il est arrêté à Orléans. Interné, on lui confisque son seul bagage qu’il ne reverra jamais : sa valise de bois dans laquelle il conservait ses trésors, dont le fameux “podlinnik”.
Battu et maltraité, il est envoyé au camp de Saint-Cyprien, où règnent la faim et la maladie. Il n’y reste que deux mois, profitant d’une évasion échafaudée par l’évêque de Perpignan, Monseigneur Bernard, avec la complicité du chef de camp. Caché dans les caves de la préfecture, il obtient un sauf-conduit pour Toulouse afin d’y poursuivre ses études de théologie à l’Institut catholique.

Logé par des jésuites, il peint sa première fresque en France, dans la chapelle de Lagarde, aujourd’hui détruite.

L’invasion allemande dans le sud de la France, en novembre 1942, le remet sur la route, cette fois vers Albi, où il termine ses études de théologie au grand séminaire. À cette époque, Charles Bellet, archiviste, créateur de la Revue du Tarn, président des Amis du musée Toulouse-Lautrec, conquis par l’artiste, lui commande un triptyque et un Chemin de croix pour la chapelle Saint-Michel du musée.
Pendant ce temps, il oeuvre dans la Résistance et relèvera les blessés sur le Pont-Neuf à Albi lors de l’attaque de la colonne allemande.


Un tas de ruines et de ronces

Après la Libération, il reste à Albi et cherche à s’enraciner dans ce pays qu’il a choisi. Gilbert Assémat, futur vicaire général d’Albi, l’encourage et lui ouvre les portes de nombreuses paroisses. De leur collaboration sortiront des ouvrages d’entretiens.

nicolaï greschny
Photo D.R.

En 1948, cherchant un endroit tranquille pour se ré-enraciner, il parcourt la région albigeoise à vélo. Il découvre, dans la commune de Marsal, à une quinzaine de kilomètres à l’est d’Albi, un tas de ruines et de ronces, La Maurinié. Il décide d’y réaliser son rêve : construire une chapelle selon les canons classiques.

À partir de 1949, il réalise de nombreuses fresques dans toute la France et notamment dans la région Midi-Pyrénées :

- Encausse-les-Bains, Haute-Garonne pour les fonts baptismaux et la buvette des thermes, l’une des rares oeuvres profanes de sa création (1949)
- Église des Treize Pierres à Villefranche-de-Rouergue, Aveyron (1952)
- Décoration entière de l’église de Saint-Victor et Melvieu, Aveyron (1953)
- Institut Stanislas de Cannes, Alpes-Maritimes (1954)
- Chantier de l’église Sainte-Anne de Chatel-Guyon (1956), par un hiver si froid que le mortier gelait…
Il s’agit selon lui d’une de ses oeuvres les plus réussies car il a pu s’y exprimer pleinement et librement.
Tout au long de ces années, il poursuit l’aménagement de La Maurinié.
Après l’obtention de ses papiers en 1957, Nicolaï peut enfin épouser Marie-Thérèse, rencontrée en 1952 à l’occasion d’une exposition à Béziers.
Il signe l’achèvement de sa chapelle à La Maurinié et deux enfants viennent agrandir la famille.

A Saint-Pierre-d’Oléron, on dit qu’il a peint en échange du gîte et du couvert.
Il semble qu’il ne se soit jamais payé à la vraie valeur de ses oeuvres. Il ne fit pas fortune malgré l’immensité de son travail.

En 1961, il élabore les projets, les plans et les décors des chars du défilé historique de Castres.

Avec le Concile Vatican II (1962-1965), la réforme liturgique vide les églises de nombreuses décorations et les chantiers de fresques se raréfient. Nicolaï se consacre désormais aux icônes qu’il réalise au gré des commandes. Il fonde une école de peinture pour transmettre son art. Il découvre en Aveyron les stages d’artisanat “vacances insolites”. Ce sera le début des stages de “technique des peintres anciens”, notamment celle de l’icône. En parallèle Marie-Thérèse assure des stages d’émaillage sur métaux. Des stages toujours organisés aujourd'hui par leur fils Michael.

Le 24 avril 1985, Nicolaï Greschny s’éteint à l’âge de 73 ans à La Maurinié, où il repose en sa chapelle.